Le 25 mars 2020 , de Bruxelles où j’étais alors sous strict confinement Covid19 , soit il y a bientôt 4 ans , j’adressais cette missive à Mr. Sidi Mohamed Ould Sidi Badi .Il y a quelques jours , je l’ai revu , à Nouakchott , en compagnie de son père , Mr. Bamba Sidi Badi ( photo ).Le sieur Bamba m’a alors généreusement rappelé combien ma prose l’avait comblé de bonheur.Et comme lui faire plaisir ne me déplaît pas vraiment , j’ai décidé de la publier ici , mettant ainsi le texte à la portée des nombreuses personnes ayant demandé à le lire . Ce faisant , je réitère aussi un hommage mérité à cet homme auquel la Nation doit encore une légitime et solennelle reconnaissance…
Bamba Sidi Badi Un pionnier si téméraire , au parcours si exemplaire !
Cher ami , frère aussi assurément et estimé compagnon de route , j’ai suivi avec un grand intérêt , puis une réelle délectation , les sept épisodes déjà télédiffusés du témoignage de votre vénérable père , Mr. Bamba Sidi Badi .Le confinement m’a certainement aidé à pouvoir les écouter d’affilée et en boucle : je n’aurais jamais soupçonné que cette assignation à domicile pût avoir de si savoureux avantages.
Cher Sidi Mohamed , t’ayant connu , et ayant même eu le bonheur de te pratiquer un peu , pas suffisamment à mon goût , je pouvais aisément deviner que ton père , dont je ne connaissais que les grandes lignes du parcours, que ton père dis-je, fut un grand homme ( et pas seulement par sa belle et imposante corpulence).J’ai été alternativement touché, marqué, souvent impressionné, toujours ému , quelquefois agréablement surpris , par son témoignage. J’en ai aussi beaucoup appris : mieux que de quelques livres !
D’abord , la richesse de la trajectoire.Voici un homme qui , précocement, en fait dès sa prime enfance, s’est pris en main , façonnant, à partir de rien , un destin hors pair !L’expression Self made man n’a jamais été autant pertinente pour décrire son homme : natif des environs du petit et non moins célèbre patelin tagantois de Letfetar , très tôt orphelin du père , parti pieds nus , du néant de la Chemama vers les rugueuses rocailles de l’Adrar , puis de l’encore plus aride Inchiri ... pour finir , littéralement à la force du poignet , par devenir l’un des entrepreneurs les plus prospères de cette Mauritanie encore colonisée et si démunie des années 40 .Sa vie est un roman qui appelle et mérite biographe professionnel , même après son propre récit .
Ensuite , la diversité des penchants et des talents.Il a traversé la vie du pays de long en large et en diagonale.Il a tâté de tous les métiers du concret , ceux créant la richesse , autant pour soi que pour autrui alentour : boutiquier , commerçant , chauffeur, entrepreneur du bâtiment, représentant de marques de voitures et autres et tant d’autres ...
Aussi , sa rectitude absolue malgré son époque trouble .Mais ce qui m’impressionne le plus et qui me fait tant aimer votre respectable père , c’est cette extraordinaire propension qu’il a eue durant cette trajectoire de vie , dans des périodes si chaotiques, cette aptitude dis-je, à la constance dans ses valeurs de référence.Il personnifie à l’envi ce que la Raison Maure , au sens Kantien , a identifié comme étant ses impératifs catégoriques : le sens de l’honneur, la sincérité, la générosité, le courage et l’altruisme...La valeur cardinale de la culture maure consiste en une obsession : ‘éviter l’infamie ( الخوف من العار ) et donc préserver , toujours , son honneur et celui des siens .Le prolifique et bel esprit maure , Mohamed Yehdhih Breydelleil en avait fait le titre choc de sa série d’articles retentissants et prémonitoires en 2008 : “Éviter l’infamie “.Ainsi , nous sommes le seul pays au monde à avoir mis “l’honneur” en ouverture de notre devise nationale, au fronton de la République : Honneur , Fraternité , Justice.Si nous devions placer les comportements de Bamba sur une échelle Kantienne , le curseur oscillerait invariablement entre le beau et le sublime …L’honneur ? Il l’a tant et tant incarné , fût-ce souvent ( toujours) à son propre détriment ( financièrement surtout ).Sa relation avec l’immense Bouyagui Ould Abidine l’illustre à merveille. Idem pour son entêtement vertueux à garder ses liens avec les opposants du moment que furent les légendaires Hamoud Ould Ahmedou et Souleymane Ould Cheikh Sidiya .Ces trois personnages illustres sont comme les acteurs d’une légende nationale inaccomplie , une espérance collective avortée , une passion publique inassouvie…Le pays y a perdu plus qu’eux-mêmes.Bouyagui est peut-être le père ignoré de ce qui aurait pu éclore comme gauche démocrate-réformiste locale , sociale-démocrate dirions-nous aujourd’hui , avant que la mauvaise inspiration communiste ne broie tout sur son passage.Hamoud incarnait si bien ce contre-pouvoir que constituaient les structures politiques traditionnelles face aux velléités totalitaires d’un État précocement gagné à la passion du parti unique.Souleymane personnifiait si bien ce besoin de réconcilier l’ancien monde et le nouveau , de faire coïncider la légitimité nationale moderne avec la légitimité traditionnelle . Il m’est spontanément une figure proche .Ce n’est pas pour rien qu’il avait été envisagé comme choix possible lorsque les français cherchaient à adouber le premier Président de la République de la Mauritanie indépendante.Dans ses mémoires , un éminent ministre de l’époque lui trouvait une tare : il serait un “dandy”!J’ai compris qu’il avait vraiment un mal terrible à lui trouver un défaut disqualifiant et j’en suis venu à penser comme ce bout de strophe de la poésie populaire maure : Oh reproche que tu m’es donc si adorable مقلاك اعلي يا عيبه !
Bamba m’a également impressionné par la sincérité de son témoignage , livré spontanément , sans retouches , avec netteté , en toute vérité , simplicité, humilité , mais aussi en toute élégance : il refusera de s’en prendre à ceux , pourtant si critiquables, qui lui ont fait tant de torts .La générosité de ce Hatem de son temps qui ne semblait faire de l’argent que pour le répandre autour de lui : Bamba aura amassé beaucoup d’argent , mais ce dernier n’a jamais pu posséder Bamba ...
Le courage de ses positionnements politiques , si souvent à contre-courant , et cette constante rectitude de l’honnête homme doublée de la sereine intégrité de l’homme honnête.L’altruisme de ce mécène des politiques en déshérence et des pauvres de tout acabit force l’estime.La Mauritanie , alors, n’a donc pas seulement eu tort de museler ses brillants esprits mais aussi de ruiner ses plus grands créateurs de richesses.
Cher Sidi Mohamed, tu vois , j’ai commencé par m’enorgueillir de ton amitié qui m’est très chère , mais ne me force pas à te faire un aveu : en fait c’est ton père aussi que j’aurais tant désiré avoir pour ami … Et comme tu pourrais le constater , enfin, aisément , je n’ai pas eu besoin d’être forcé pour te le dire !Quel privilège de croiser , dans sa vie , un être si exceptionnel, un don du ciel , sans contredit !Qu’Allah vous le préserve ( et pour la Nation entière ) longtemps encore ...
Bruxelles le 25 mars 2020 .